ChatGPT – un poisson rouge – un agrégé de philosophie (et cinq ou six ratons-laveurs…)
« En matière d’intelligence, l’IA n’arrive pas à la cheville du poisson rouge« , affirme Raphaël Enthoven.
Opposé à ChatGPT sur une épreuve de philosophie du bac ayant pour thème « Le bonheur est-il affaire de raison ? », le philosophe a obtenu la note de 20/20, et la machine seulement un 11 !
Une preuve, selon R. Enthoven, qu’une « intelligence artificielle ne pourra jamais rivaliser avec un humain dans le domaine de la philosophie. » (article)
Non, la question du jour n’est pas de savoir si un poisson a des chevilles ! Il s’agit de retrouver l’origine de l’expression « ne pas arriver à la cheville de qn » et celle de son équivalent en allemand.
Et, par la même occasion, de défendre l’honneur des poissons rouges, injustement dénigrés !
Certains préjugés concernant les capacités mentales des poissons (en particulier celles du « poisson rouge » (Goldfisch), animal dégénéré qui passe sa vie à tourner dans un bocal) sont tenaces : ces animaux auraient une mémoire très limitée, voire inexistante (d’où l’expression « avoir une mémoire de poisson rouge ») et un cerveau aux capacités très réduites. Or, les scientifiques ont prouvé récemment que, dans ce domaine, le poisson n’avait rien à envier à la plupart des mammifères.
Ainsi, non seulement le philosophe Raphaël Enthoven commet une erreur anatomique en évoquant la « cheville » du poissson rouge, mais aussi il calomnie cet animal, beaucoup plus intelligent qu’on ne le croit.
« Ne pas arriver à la cheville de qn », c’est se montrer nettement inférieur à lui en talent, en intelligence, en mérite, etc. Apparue au XVIIIe siècle, l’expression est une variante de la locution « ne pas venir / arriver / aller à la ceinture – ou au genou – de qn », qui, dès l’origine, était employée dans un sens figuré.
Au fil des siècles, l’élément de comparaison (« ceinture », puis « genou » et finalement « cheville ») s’est rapproché du sol, rabaissant par conséquent la valeur de la personne supposée se trouver en position d’infériorité.
En allemand, cette condition subalterne est exprimée par une autre image, née d’une pratique médiévale.
La fourchette n’a fait son apparition sur les tables en Europe qu’au XVIe siècle. Au moyen âge, si les convives se servaient d’une cuillère pour consommer les mets liquides comme la soupe, ils utilisaient leurs doigts pour manger les autres aliments, et ce, chez les grands seigneurs comme chez les paysans les plus pauvres. De plus, chacun se servait directement avec la main dans le plat commun. C’est pour cette raison que la propreté des mains était une nécessité absolue : les convives devaient les laver avant de manger et après le repas, parfois même entre les différents plats.
A la table des grands seigneurs, c’étaient des pages qui avaient pour rôle de leur présenter des aquamaniles (une aiguière et son bassin) remplis d’eau parfumée (avec des plantes aromatiques) et un linge pour s’essuyer les doigts. (Aquamanile en forme de dragon – Lorraine – XIIe siècle)
Cette tâche n’était pas confiée à n’importe qui mais à des serviteurs suffisamment stylés pour pouvoir paraître à la table du maître. Les domestiques de rang inférieur, eux, ne pouvaient par leur « passer l’eau » pour se laver les doigts. D’où l’expression « jemandem das Wasser nicht reichen können« , équivalent de notre locution « ne pas arriver à la cheville de qn ».