La taxe lapin

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Une semaine après Pâques, l’Assemblée nationale vient de voter une « taxe lapin »… qui n’a rien à voir un Osterhase, un Easter Bunny – alias Easter Bilby en Australie – ou un conejo de Pascua. Elle est destinée à « réguler les rendez-vous non honorés (einhalten, wahrnehmen) chez le médecin. »

Cette pénalité financière a pour but de responsabiliser les patients qui annulent leur rendez-vous (1) médical sans prévenir, bloquant ainsi un créneau (freier Termin) qui aurait pu être attribué à un autre patient.

Mais quel peut bien être le rapport entre un lapin et un cabinet (2) médical ? Les médecins voient parfois en consultation (in der Sprechstunde) des patients victimes de ce qu’on appelle communément « le coup du lapin » (3). Il s’agit d’un traumatisme aigu des vertèbres cervicales (Halswirbel), la plupart du temps consécutif à un accident de la route, lors d’un mouvement brutal d’aller-retour de la tête, autrement dit ce qui s’appelle en allemand « Schleudertrauma » (Peitschenschlagsyndrom durch einen Auffahrunfall). Ce n’est pourtant pas à cette blessure que la « taxe lapin » doit son nom.

Un chaud lapin… Animal très prolifique, le lapin est considéré comme un symbole de fécondité dans de nombreuses cultures. De plus l’expression « un chaud lapin » désigne un homme « très porté sur la chose », autrement dit sur le sexe (jemand, der immer nur an das eine denkt). Mais non, nous ne nous éloignons pas du sujet ! En effet, l’expression « poser un lapin à qn », apparue à la fin du XIXe siècle, signifie « ne pas rétribuer les faveurs d’une prostituée », autrement dit partir sans la payer. (4)

Une grue (5) dans la rue… Progressivement, le sens de la locution est devenu plus général pour signifier « ne pas venir à un rendez-vous fixé, sans avertir la personne que l’on devait rencontrer« . C’est ainsi que ladite personne est souvent condamnée à « faire le pied de grue » (sich die Beine in den Bauch stehen). L’expression se réfère à la posture de cet oiseau (Kranich) qui se tient souvent immobile sur une patte en attendant (le poisson), comme la prostituée qui attend (le client), debout sur le trottoir (6).

Et des moutons… Quittons la grue pour revenir à nos moutons (zurück zum Thema!) … Le médecin qui attend, en vain, le client qui a pris rendez-vous, pourrait désormais être dédommagé grâce à cette « taxe lapin ».

En Autriche, pas besoin de « taxe lapin » : un médecin a le droit de facturer un rendez-vous médical auquel le patient ne s’est pas présenté. (article) « Ärzte sind berechtigt, für einen nicht eingehaltenen bzw. nicht abgesagten Termin Kosten zu verrechnen. » « Die Ärztekammer unterstützt es, wenn eine « Stornogebühr » für « Leertermine » verlangt wird. (…) Wie Ärztinnen und Ärzte Ausfälle handhaben, bleibt ihnen jeweils individuell selbst überlassen. Patientinnen und Patienten müssen aber vorab über etwaig fällige Zahlungen informiert werden. »

Pour être au courant

1- rendez-vous : le terme vient de l’impératif (2ème personne du pluriel) du verbe « se rendre à » (un endroit) = sich begeben. On utilise fréquemment le mot sans article dans les expressions suivantes : « avoir rendez-vous », « donner rendez-vous », « prendre rendez-vous ». On distingue en général « avoir rendez-vous avec qn » (par exemple avec des amis) de « avoir rendez-vous chez qn » (par ex. chez le médecin, le garagiste…).

2- attention, faux amis ! Il ne faut pas confondre le cabinet médical (Arztpraxis, Ordination) et l’ordination  (Priesterweihe ou Ordination = feierliche Einführung in das Amt eines Geistlichen). Par contre, Rezept (en tant que prescription médicale / ärztliche Verordnung / et pas recette culinaire) se traduit par « ordonnance ».

3- le coup du lapin : cette expression vient d’une pratique qui consistait à tuer le lapin en lui assénant un coup derrière la nuque.

4- Le jeu de mots était inévitable ! Certains commentateurs proposent la création d’une « taxe tapin » qui viendrait dédommager les péripatéticiennes (« Gunstgeweblerin) à qui leurs clients ont fait faux bond (versetzen, kurzfristig absagen). En effet, « faire le tapin » – c’est-à-dire racoler les clients – se traduit par « auf den Strich gehen« .

5- le mot « grue » a trois significations en français, alors que l’allemand fait la différence entre l’engin de chantier (Kran), l’oiseau (Kranich) et la prostituée (Dirne).

6- origine de l’expression « Revenons à nos moutons » : dans une pièce de théâtre de la fin du XVe siècle, « La Farce de maître Pathelin », un berger est accusé d’avoir volé les moutons d’un drapier (Tuchhändler). Comme l’avocat, maître Pathelin, a lui-même escroqué (betrügen) le drapier, ce dernier mélange sans arrêt les deux histoires pendant son procès. Plusieurs fois, le juge doit le rappeler à l’ordre (abmahnen) en lui disant : « Revenons à nos moutons ! »