Faire une omelette sans casser des oeufs

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Avec Papondu, c’est possible !

« Voici le premier œuf végétal créé par des Françaises. Papondu est un œuf qui, comme son nom l’indique, ne provient pas d’une poule. Il est 100 % végétal et possède des valeurs nutritionnelles proches de l’original. Il se présente sous la forme d’un blanc liquide dans lequel se trouve un jaune sphérique, une prouesse à mettre sur le compte d’une technique de cuisine moléculaire. »

Dans un premier temps, l’oeuf Papondu sera vendu en version battue – plus facile à commercialiser – « sous la forme d’un liquide sous plastique qu’on peut utiliser pour faire des omelettes véganes mais aussi des gâteaux. » (article)

Miam !

Bien que l’oeuf « Papondu » (litt. « nicht gelegt« ) soit commercialisé depuis octobre 2022, vous n’en avez encore jamais entendu parler ? Moi non plus, d’ailleurs…
Peut-être s’agit-il là d’
une invention « qui ne casse rien » ? (1)


Le proverbe « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » signifie qu’on n’obtient rien sans qu’il y ait des effets secondaires parfois regrettables, ou même des victimes.

Cette métaphore culinaire est courante en français mais elle est de plus en plus concurrencée par l’expression « dommages collatéraux » (calque de l’anglais collateral damage), utilisée pour la première fois pendant la guerre du Vietnam et popularisée depuis par les médias, si bien qu’elle ne se réfère plus seulement au domaine militaire. On la met maintenant à toutes les sauces (für alles erhalten müssen).


Ce qui nous ramène à l’omelette et au domaine de la gastronomie (2)

Le mot omelette vient du latin lamina (lame) après toute une série de transformations :

lamina lamella : forme diminutive (dont est aussi dérivé le mot lamelle)
lemelle alemelle : avec
agglutination du « a » de l’article défini (« la lemelle » est interprété phonétiquement comme « l’alemelle ») ;
alemette :
diminutif du précédent
amelette : avec
métathèse du « m » et du « l » (attesté au milieu du XVe siècle)
omelette : c’est sous l’influence du mot œuf (écrit et prononcé « 
of » jusqu’au XIIIe siècle)
que l’initiale « a » s’est transformée en « o ».


Mais quel est le
rapport entre une omelette et une lamelle ?
Les lexicologues estiment que ce plat préparé à base d’œufs doit son nom à sa forme aplatie.


Au milieu du XVIe siècle, c’est sous la forme « 
homelaicte » qu’on retrouve l’omelette chez Rabelais dans un chapitre où il décrit une île dont les habitants se donnent des noms étranges, basés sur des calembours : « L’un appelait sa femme homelaicte, elle le nommait mon œuf : et ils étaient alliés comme une homelaicte d’œufs ». (3)
Rien n’indique cependant qu’il s’agissait alors d’un plat destiné aux humains.

Quelques années plus tard, l’omelette – sous sa forme orthographique actuelle – fait son apparition dans un recueil de « Receptes pour guarir les chiens ». (4)


Il n’est pas question d’œufs dans le proverbe allemand correspondant, mais de copeaux de bois. On quitte la cuisine pour l’atelier du menuisier ou de l’ébéniste :
Wo gehobelt wird, fallen Späne (Là où on rabote, il tombe des copeaux).

Attestée depuis la fin du XIXe siècle, la locution a le même sens et le même emploi que son équivalent français : elle est souvent utilisée – avec un peu de mauvaise foi – quand il s’agit de justifier des procédés indélicats.

Il n’est donc pas tellement étonnant qu’on la retrouve parmi ce qu’on appelle aujourd’hui les « éléments de langage » (la langue de bois, version XXIe siècle) des hommes politiques.

On ne dit plus « il faut donner un coup de rabot » (den Hobel ansetzen), c’est-à-dire réduire des dépenses budgétaires ; on parle d’ajuster les dépenses.

Et tant pis pour les victimes de ces « ajustements » : les « copeaux » et les « œufs cassés » !
 

 

     Pour être au courant

 

1- ça ne casse rien = cela n’a rien d’exceptionnel, das ist nichts Besonderes
Dans cette expression, le verbe « 
casser » est utilisé dans le sens de « avoir un effet retentissant » (du latin quassarequatare : agiter fortement)


2- gastronomie : mot emprunté au grec ancien, où il signifie « art de régler l’estomac« .
Il se compose de « gaster » = estomac et de « nomos » = loi.

 

3- homelaicte : « l’ung appelloyt une sienne mon homelaicte, elle le nommoyt mon œuf : et estoyent alliez comme une homelaicte d’œufs. » Rabelais, Quart Livre, 1548. Description de « l’île des alliances » dans la langue originale.


4- antirabique : ce mélange d’œufs battus est proposé comme un remède très sûr pour guérir les chiens de la rage, surtout si on y ajoute de la « pinprenelle » (la pimprenelle), mais surtout pas de sel !


Dans les autres langues romanes, le proverbe correspondant est plus ou moins calqué sur le français :
No se hacen tortillas sin romper huevos (en espagnol) ;
Non si può fare la frittata senza rompere le uova (en italien) ;
Não se fazem omeletas sem ovos (en portugais) ;
Nu poti sa faci omleta fara sa spargi oua (en roumain) ;

En anglais, l’expression la plus courante est You can’t make an omelette without breaking eggs,
– mais on utilise aussi la forme where the wood is chopped, splinters must fall, où on retrouve le travail du bois et les copeaux qui en résultent,
– comme dans l’expression néerlandaise : waar gewerkt / gehakt wordt, vallen spaanders.

Il y a l’omelette et das Omelett ! En France, une omelette ne contient que des œufs battus (plus un peu de sel et de matière grasse) tandis qu’en Autriche, le mot Omelett désigne un mets contenant aussi de la farine et du lait.

 

Avec Papondu, c’est possible !

« Voici le premier œuf végétal créé par des Françaises. Papondu est un œuf qui, comme son nom l’indique, ne provient pas d’une poule. Il est 100 % végétal et possède des valeurs nutritionnelles proches de l’original. Il se présente sous la forme d’un blanc liquide dans lequel se trouve un jaune sphérique, une prouesse à mettre sur le compte d’une technique de cuisine moléculaire. »

Dans un premier temps, l’oeuf Papondu sera vendu en version battue – plus facile à commercialiser – « sous la forme d’un liquide sous plastique qu’on peut utiliser pour faire des omelettes véganes mais aussi des gâteaux. » (article)

Miam !

Bien que l’oeuf « Papondu » (litt. « nicht gelegt« ) soit commercialisé depuis octobre 2022, vous n’en avez encore jamais entendu parler ? Moi non plus, d’ailleurs…
Peut-être s’agit-il là d’
une invention « qui ne casse rien » ? (1)


Le proverbe « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs » signifie qu’on n’obtient rien sans qu’il y ait des effets secondaires parfois regrettables, ou même des victimes.

Cette métaphore culinaire est courante en français mais elle est de plus en plus concurrencée par l’expression « dommages collatéraux » (calque de l’anglais collateral damage), utilisée pour la première fois pendant la guerre du Vietnam et popularisée depuis par les médias, si bien qu’elle ne se réfère plus seulement au domaine militaire. On la met maintenant à toutes les sauces (für alles erhalten müssen).


Ce qui nous ramène à l’omelette et au domaine de la gastronomie (2)

Le mot omelette vient du latin lamina (lame) après toute une série de transformations :

lamina lamella : forme diminutive (dont est aussi dérivé le mot lamelle)
lemelle alemelle : avec
agglutination du « a » de l’article défini (« la lemelle » est interprété phonétiquement comme « l’alemelle ») ;
alemette :
diminutif du précédent
amelette : avec
métathèse du « m » et du « l » (attesté au milieu du XVe siècle)
omelette : c’est sous l’influence du mot œuf (écrit et prononcé « 
of » jusqu’au XIIIe siècle)
que l’initiale « a » s’est transformée en « o ».


Mais quel est le
rapport entre une omelette et une lamelle ?
Les lexicologues estiment que ce plat préparé à base d’œufs doit son nom à sa forme aplatie.


Au milieu du XVIe siècle, c’est sous la forme « 
homelaicte » qu’on retrouve l’omelette chez Rabelais dans un chapitre où il décrit une île dont les habitants se donnent des noms étranges, basés sur des calembours : « L’un appelait sa femme homelaicte, elle le nommait mon œuf : et ils étaient alliés comme une homelaicte d’œufs ». (3)
Rien n’indique cependant qu’il s’agissait alors d’un plat destiné aux humains.

Quelques années plus tard, l’omelette – sous sa forme orthographique actuelle – fait son apparition dans un recueil de « Receptes pour guarir les chiens ». (4)


Il n’est pas question d’œufs dans le proverbe allemand correspondant, mais de copeaux de bois. On quitte la cuisine pour l’atelier du menuisier ou de l’ébéniste :
Wo gehobelt wird, fallen Späne (Là où on rabote, il tombe des copeaux).

Attestée depuis la fin du XIXe siècle, la locution a le même sens et le même emploi que son équivalent français : elle est souvent utilisée – avec un peu de mauvaise foi – quand il s’agit de justifier des procédés indélicats.

Il n’est donc pas tellement étonnant qu’on la retrouve parmi ce qu’on appelle aujourd’hui les « éléments de langage » (la langue de bois, version XXIe siècle) des hommes politiques.

On ne dit plus « il faut donner un coup de rabot » (den Hobel ansetzen), c’est-à-dire réduire des dépenses budgétaires ; on parle d’ajuster les dépenses.

Et tant pis pour les victimes de ces « ajustements » : les « copeaux » et les « œufs cassés » !
 

 

     Pour être au courant

 

1- ça ne casse rien = cela n’a rien d’exceptionnel, das ist nichts Besonderes
Dans cette expression, le verbe « 
casser » est utilisé dans le sens de « avoir un effet retentissant » (du latin quassarequatare : agiter fortement)


2- gastronomie : mot emprunté au grec ancien, où il signifie « art de régler l’estomac« .
Il se compose de « gaster » = estomac et de « nomos » = loi.

 

3- homelaicte : « l’ung appelloyt une sienne mon homelaicte, elle le nommoyt mon œuf : et estoyent alliez comme une homelaicte d’œufs. » Rabelais, Quart Livre, 1548. Description de « l’île des alliances » dans la langue originale.


4- antirabique : ce mélange d’œufs battus est proposé comme un remède très sûr pour guérir les chiens de la rage, surtout si on y ajoute de la « pinprenelle » (la pimprenelle), mais surtout pas de sel !


Dans les autres langues romanes, le proverbe correspondant est plus ou moins calqué sur le français :
No se hacen tortillas sin romper huevos (en espagnol) ;
Non si può fare la frittata senza rompere le uova (en italien) ;
Não se fazem omeletas sem ovos (en portugais) ;
Nu poti sa faci omleta fara sa spargi oua (en roumain) ;

En anglais, l’expression la plus courante est You can’t make an omelette without breaking eggs,
– mais on utilise aussi la forme where the wood is chopped, splinters must fall, où on retrouve le travail du bois et les copeaux qui en résultent,
– comme dans l’expression néerlandaise : waar gewerkt / gehakt wordt, vallen spaanders.

Il y a l’omelette et das Omelett ! En France, une omelette ne contient que des œufs battus (plus un peu de sel et de matière grasse) tandis qu’en Autriche, le mot Omelett désigne un mets contenant aussi de la farine et du lait.

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