« Un scientifique utilise 20 fois plus de plastique qu’un citoyen lambda. La science pollue. Pipettes, boîtes de Pétri, tubes à essai : les objets en plastique à usage unique abondent dans les laboratoires du monde entier. Chaque année plus de cinq millions de tonnes sont jetés, soit 2% de ce type de déchets. » (article)
Un individu « lambda » est une personne quelconque. L’expression « citoyen lambda » employée dans l’article est synonyme de consommateur moyen. Mais quel est le rapport avec la lettre grecque du même nom, ancêtre du « L » de l’alphabet latin ? Placée entre « kappa » (notre « k ») et « mu » (notre « m »), c’est la 11ème lettre de l’alphabet grec, qui en compte 24. Elle se situe donc au milieu de la liste, et c’est cette position médiane qui explique son sens figuré. Tout comme l’alpha (la 1ère de cet alphabet) et l’oméga (la dernière) sont devenus respectivement le symbole du commencement et de la fin, la lettre lambda est celui du milieu, de la moyenne.
Cette acception figurée du terme apparaît dans l’argot de l’ École Polytechnique au XIXe siècle : l’élève lambda était celui qui se situait au milieu du classement de sa promotion (Jahrgang). Ce n’était donc ni un sujet particulièrement brillant, ni un cancre (élève nul et paresseux).
L’équivalent allemand du citoyen lambda est désigné par un prénom : Otto Normalverbraucher, c’est le consommateur « normal », c’est-à-dire moyen, une personne fictive ayant les caractéristiques et les besoins représentatifs de l’ensemble de la population.
Pourquoi Otto ? D’abord parce que c’est un mot court, facile à prononcer, qui peut se lire de gauche à droite ou l’inverse (c’est donc un palindrome comme Anna, Hannah ou Bob…). Ensuite, parce que c’était un prénom très populaire en Allemagne à la fin du XIXe siècle et jusqu’au début de la Grande Guerre. La génération née entre 1980 et 1914 a entre 60 et 26 ans en 1940 quand apparaît l’expression « Otto Normalverbraucher« . (1)
Dans l’Allemagne en guerre, il devient nécessaire de rationner les denrées alimentaires et donc de déterminer différentes catégories dans la population, selon leurs besoins en nourriture : enfants et adolescents, travailleurs prioritaires (par ex. ceux qui sont employés dans l’industrie de l’armement), travailleurs de nuit, retraités, et donc aussi les « consommateurs moyens » qui avaient droit à une ration alimentaire « moyenne ».
Bien que le prénom Otto ne soit plus guère porté aujourd’hui (2), l’expression « Otto Normalverbraucher » reste toujours très employée dans les études de marché. Il a pour équivalent Durchschnittsbürger, -mensch, Max Musterman, Lieschen Mûller, die Person von nebenan…
Dans la presse française, le « citoyen lambda » est tour à tour désigné comme « l’homme de la rue » ou « Monsieur Tout-le-monde« , « Monsieur Duchmol », avec sa variante féminine « Madame Michu« . (3)
Pour être au courant1- L’expression « Otto Normalverbraucher » a en outre été popularisée par le film « Berliner Ballade« , sorti en 1948, dans lequel Gert Fröbe joue le rôle d’Otto, le personnage principal, un citoyen moyen de son époque.
2- Célèbres porteurs du prénom Otto, après le Chancelier Otto von Bismarck (1815-1898) : – Otto von Habsburg, homme politique allemand et fils du dernier empereur d’Autriche (décédé en 2011) ; – Otto Waalkes, acteur (né en 1948) ; – Otto Rehhagel, footballeur et entraîneur (né en 1938)… Il paraît cependant que le prénom revient à la mode depuis une dizaine d’années en Allemagne (particulièrement dans l’ancienne RDA). Ce n’est pas le cas en Autriche, peut-être parce qu’il rappelle « l’opération Otto » (Unternehmen Otto), nom de code choisi par Adolf Hitler pour désigner l’opération militaire qui a conduit à l’annexion de l’Autriche en mars 1938.
3- Le citoyen « lambda » dans d’autres langues : – en Grande-Bretagne, il est appelé Fred (ou Joe) Blogs, ou bien A. N. Other (« another » signifiant « un autre », c’est-à-dire, par extension, « n’importe qui ») ; – « italiano medio » est le synonyme de « cittadino comune » ou « uomo della strada » en italien ; – en espagnol, ce « ciudadano medio » ou « promedio » est également nommé « ciudadano de a pie » (littéralement « citoyen qui va à pied »). Ce terme est apparenté au « peon« , un valet de ferme en Amérique du Sud, dont le nom signifie littéralement « piéton » = celui qui se déplace à pied.