« Des marins-pompiers de Marseille « contrôlés » par les guetteurs : ils doivent « montrer patte blanche ». Dans certaines cités de Marseille, les trafiquants règnent sans conteste au point de pouvoir « fouiller » les militaires, les marins-pompiers, les infirmiers et ambulanciers en pleine opération de secours, ce qui fait perdre un temps souvent précieux. » (article)
Montrer patte blanche, c’est s’identifier ou donner un signe de reconnaissance pour être autorisé à entrer dans un lieu. L’expression vient d’une fable de La Fontaine « Le loup, la chèvre et le chevreau« , ou du moins c’est le fabuliste français qui l’a popularisée.
Le conte des frères Grimm propose, un siècle et demi plus tard, une version un peu différente de l’histoire : « Der Wolf und die sieben Geißlein« .
Le biquet français se montre beaucoup plus malin que ses congénères allemands : bien que sa mère lui ait simplement recommandé de n’ouvrir qu’à celui qui prononcerait le mot de passe (1), il a la bonne idée de demander en plus au loup de montrer sa patte. Voyant qu’elle est noire, il refuse de lui ouvrir. « Le biquet soupçonneux par la fente regarde : Montrez-moi patte blanche, ou je n’ouvrirai point. » (2)
Les sieben Geißlein tombent dans le panneau (auf den Leim gehen, auf eine List hereinfallen) à la troisième tentative du loup, et six d’entre eux vont être dévorés.
Die Geißlein riefen: ‘Zeig uns zuerst deine Pfote, damit wir wissen, dass du unser liebes Mütterchen bist.’ Da legte der Wolf die Pfote auf das Fensterbrett. Als die Geißlein sahen, dass sie weiß war, glaubten sie, es wäre alles wahr, was er sagte, und machten die Türe auf.
Les chevreaux de Grimm ont peut-être des circonstances atténuantes : en effet, le loup allemand est plus rusé – ou plus affamé ? – que son cousin français : pour tromper les cabris, il mange d’abord de la craie pour rendre sa voix plus douce, enduit (bestreichen, überziehen) ensuite sa patte de pâte à pain, puis de farine.
Après l’échec de cette opération de « blanchiment », peut-être que le loup, toujours affamé et frustré, est allé se venger en dévorant le Petit Chaperon rouge (Rotkäppchen) et sa grand-mère… L’histoire ne le dit pas car La Fontaine a choisi de terminer sa fable par la morale suivante : « Deux sûretés (le sésame et la patte blanche) valent mieux qu’une ». Devenue proverbiale sous la forme « Deux précautions valent mieux qu’une », elle se traduit en allemand par « Doppelt genäht hält besser » (une double couture tient mieux).
Cette expression nous ramène au conte de Grimm qui se termine par une étrange séance de couture ! La chèvre ouvre le ventre du loup endormi après son copieux repas, afin de récupérer les six chevreaux qu’il avait engloutis. Avant de recoudre le ventre béant (klaffend), elle le remplit de lourdes pierres qui vont causer la perte du loup. A son réveil, l’animal se penche sur le bord d’une fontaine pour se désaltérer (seinen Durst stillen), il tombe dedans et se noie.
« Tout est bien qui finit bien » (Ende gut, alles gut!) : les sept petits (4) et leur mère dansent de joie.
(Un jour, me semble-t-il, on réécrira les Fables de La Fontaine en « politiquement correct »…)
Pour être au courant
1- Le « mot du guet » qui sert sésame : « Foin* du loup et de sa race! »
L’interjection « foin de » est vieillie. On l’utilisait pour marquer le rejet, le dédain (zum Teufel mit dem Wolf = au diable le loup !) Elle n’a rien à voir avec le foin (herbe séchée / Heu) ; c’est vraisemblablement une altération de l’interjection « fi » – elle aussi vieillie, mais que l’on emploie encore dans l’expression « faire fi de qc (verschmähen). Elle peut se traduire par « pfui, pfui Teufel. Tout comme « fi », « pfui » est une onomatopée (Schallnachahmung, Lautmalerei).
2- Vouvoiement en 1688 – tutoiement en 1812 – Alors que, dans la fable de la Fontaine (1688), tous les protagonistes se vouvoient (la chèvre et son chevreau, le chevreau et le loup), ceux du conte de Grimm (1812) se tutoient (la mère et les sept biquets, ces derniers et le loup, le loup et le boulanger, puis le meunier (Müller).
3- Brunnen peut se traduire par « puits » ou par « fontaine« . Si j’ai choisi le second terme, c’est bien sûr pour le jeu de mots avec le fabuliste français, mais aussi pour une raison de vraisemblance : il est plus difficile de tomber par mégarde (aus Versehen) dans un puits (même avec le ventre rempli de cailloux). En effet, sa margelle (le rebord) est trop élevée.
4- chevreau, cabri, biquet : (du latin « capra » la chèvre, dont dérive aussi… la cabriole) : trois synonymes pour désigner les petits de la chèvre et du bouc. En allemand, la chèvre = Ziege, est aussi appelée Geiß (avec ses variantes dialectales Gaiß, Goiß, Goaß) ou Zicke, d’où le nom de ses petits : Geißlein, Zicklein, Ziegenkitz…