« Ce samedi [24/02/2024] s’ouvre la 60e édition du Salon de l’Agriculture à Paris.
Emmanuel Macron est arrivé sous les sifflets et dans un climat de forte tension samedi matin au Salon de l’agriculture, où des dizaines de manifestants ont forcé une grille pour entrer dans les lieux avant l’heure, sur fond de crise agricole. Après avoir rencontré des syndicats de la profession, le Président a rencontré et débattu avec des agriculteurs et des représentants des différentes organisations syndicales, en mettant en avant son envie de « dialogue ».» (article)
Le président de la République ne se défile pas« , a déclaré Antoine Armand (député Renaissance).
Se défiler, c’est se dérober à ses responsabilités, s’esquiver quand la situation devient critique.
On est là bien loin du défilé du 14 juillet, où les différents corps de troupe défilent sur les Champs-Elysées, sous les yeux du Président de la République qui trône sur la tribune d’honneur.
Et encore plus loin d’un défilé de mode.
Et pourtant, « défiler » et la forme pronominale « se défiler » dérivent bel et bien de file, et donc de « fil ».
La file, suite de personnes ou de choses placées l’une derrière l’autre sur une certaine longueur, ou avançant l’une derrière l’autre, vient du latin filum : fil, filament, déjà employé au sens propre et au sens figuré (par ex. au fil de l’eau, au fil du temps, passer au fil de l’épée…).
Le verbe « filer » possède lui aussi un sens propre (transformer une fibre textile en fil / spinnen) et un sens figuré (disparaître rapidement, s’esquiver, par ex. « >filer à l’anglaise / « sich Französisch verabschieden« ).
Mais quel est le rapport du verbe « (se) défiler » avec une file ?
Le terme est d’abord (au XVIIe siècle) employé dans le domaine militaire : « défiler » un ouvrage de défense ou les hommes d’une troupe, c’est le/s disposer de manière à éviter l’enfilade du feu ennemi. En effet, obéissant aux lois de base de la physique, la flèche d’un arc, la balle d’un mousquet ou d’un fusil, un boulet de canon ont une trajectoire rectiligne et pas un parcours en zigzag.
Ainsi, pour ne pas offrir une cible trop facile à l’ennemi, les hommes de troupe rompent la file, ils « se défilent », ils « sortent du rang », au lieu de se déplacer les uns derrière les autres en file indienne. (1)
Au début du XIXe siècle (attestation en 1826), « se défiler » prend le sens figuré que nous connaissons aujourd’hui, à savoir « se soustraire à ses obligations » ou, plus familièrement, « se débiner ».
Comme équivalent allemand, on peut proposer « sich drücken (littéralement : s’aplatir) ou « sich jm. oder einer unangenehmen Sache nicht stellen, sich einer Herausforderung, einer Verpflichtung entziehen« .
Un Drückeberger (4), c’est quelqu’un qui se défile. Le terme est surtout utilisé
– dans le domaine du travail : en général : c’est celui qui se prétend malade pour ne pas aller travailler ou celui qui pratique le « shirking » (littréralement « dérobade »), un phénomène appelé « absichtliche Leistungszurükhaltung en allemand, ou, en français, « retenue délibérée dans le rendement de son travail »… (5)
– dans le domaine militaire (où le terme est attesté à partir de la seconde moitié du XIXe siècle), il désigne celui qui « se fait porter pâle » pour éviter les corvées, pour ne pas combattre, ou celui qui quitte les lieux où se déroule le combat pour gagner des endroits moins exposés, par ex. les flancs du champ de bataille.
C’est de ce comportement que vient l’expression « tire-au-flanc », synonyme français de Drückeberger. D’abord (1887) utilisé dans le domaine militaire, il a pris ensuite un sens plus large.
Sich drücken / se défiler – Pour se soustraire au danger, les uns s’aplatissent (à l’exemple du lapin qui cherche à échapper aux chasseurs et aux chiens : der Hasenfuß), dautres sortent de la file pour ne pas se trouver dans la ligne de tir de l’ennemi.
Selon Antoine Armand, député macroniste, le Président de la République ne se défile pas, il ne se fait pas porter pâle : il ne se dérobe pas à la discussion avec les paysans en colère.
Pour être au courant
1- Le sens moderne de « défiler »: marcher en file, se déplacer dans une revue en formation de parade, les uns derrière les autres, devant des autorités, ou devant des spectateurs (lors d’un défilé de mode, par ex.) est donc exactement le contraire de son sens originel, à savoir sortir d’une file !
2- « se débiner » signifie à la fois « fuir » physiquement (s’enfuir) ou « fuir » au sens figuré de « esquiver qc », « se dérober à qc » (ex. fuir ses responsabilités).
3- « sich drücken » est à l’origine un terme cynégétique (qui concerne la chasse). Dès le XIIIe siècle, il est aussi employé au sens de « filer sans se faire remarquer ». Le sens figuré (se dérober à une obligation) est attesté depuis le XIXe siècle.
4- Le terme « Drückeberger » est composé comme « Schlauberger » ou sa variante « Schlaumeier » (qui désignent un petit malin), à savoir du verbe / ou adjectif qui qualifient la personne et d’un patronyme ou toponyme (Berger / celui qui habite dans les montagnes ; Meier : le fermier).
5- Des circonlocutions : « absichtliche Leistungszurückhaltung » et « retenue délibérée dans le rendement de son travail »… Cela rappelle la réplique ironique mise par Molière dans la bouche de Philinte, à propos d’un sonnet composé en langage précieux et peu compréhensible (« Le Misanthrope », Acte 1 -1666) : « Ah, qu’en termes galants ces choses-là sont mises ! » (« galant » dans le sens de « raffiné, délicat »).