» a² + b² = c² « : dans un triangle rectangle, la somme des carrés des deux plus petits côtés est égale au carré du côté le plus long, l’hypoténuse. Cela vous rappelle sûrement des souvenirs d’école…
Ce que l’on sait moins, c’est que cette formule a été attribuée à tort à Pythagore (né à Samos vers 569 av. JC et mort vers 475). En effet, des tablettes d’argile trouvées en Irak (la Mésopotamie de l’Antiquité) ont révélé que, il y a près de 4 000 ans, les Babyloniens savaient déjà calculer la racine carrée d’un nombre et connaissaient la relation entre la longueur de la diagonale d’un carré et son côté.
Autrement dit, Pythagore n’a pas inventé le fameux théorème !
Aujourd’hui, l’expression « il / elle n’a pas inventé… » est le plus souvent utilisée de manière ironique pour qualifier quelqu’un qui n’est « pas très intelligent », « pas très malin » : ces litotes atténuent la critique, évitant les formulations plus directes et plus crues (schonungslos) telles que « c’est un/e imbécile ».
Dans la plupart des langues européennes, on retrouve les grands classiques : « il / elle n’a pas inventé la poudre, l’eau chaude, la roue…« , des inventions considérées aujourd’hui comme banales. (1)
Ce modèle a récemment inspiré d’autres locutions plus humoristiques comme « il n’a pas inventé la machine à courber les bananes » ou « à défriser le persil », ou « à percer les macaronis » !
La création de nouvelles expressions est le reflet des nouvelles découvertes et de l’évolution des techniques.
Ainsi, l’avènement de « la fée électricité » (à la fin du XIXe siècle) a vu naître la formule « il n’a pas la lumière à tous les étages » (autrement dit, les connexions neuronales de son cerveau ne fonctionnent pas). Cette expression rappelle une époque où seuls les logements des « beaux étages » étaient raccordés à l’électricité. Les « chambres de bonnes », nichées sous les toits, n’avaient pas le courant.
Si la formule « sa radio ne capte pas toutes les fréquences » est déjà un peu démodée, on entend encore « il a les fils qui se touchent (ce qui provoque un court-circuit / Kurzschluss) » ou » il manque quelques boutons à sa télécommande » (Fernbedienung). L’expression « il n’a pas le WIFI dans toutes les pièces » est, bien sûr, plus récente.
Cependant la locution « ne pas être une 100 watts », utilisée au Québec, se rapporte encore aux (anciennes) ampoules à incandescence (Glühlampe), et n’a pas encore été remplacée par son équivalent « basse consommation » (energiesparend) : on n’entend jamais dire de quelqu’un que « ce n’est pas une 1200 lumens » !
Ce n’est pas un hasard si l’ampoule électrique est le symbole de l’idée qui surgit dans le cerveau. Dans de nombreuses langues et à toutes les époques, la notion d’intelligence – ou son manque – est liée à l’idée de lumière – ou à son absence : « ce n’est pas une lumière » a son équivalent en allemand : er / sie ist nicht gerade eine Leuchte, ou nicht die hellste Kerze auf der Torte (ce n’est pas la bougie la plus brillante sur le gâteau) dans sa version moderne. (2)
La vivacité, l’acuité d’esprit (Scharfsinn) est également symbolisée par l’image d’une lame bien aiguisée, affûtée (scharf) (comme celle d’un couteau ou d’un outil) ou l’image d’un crayon bien taillé (angespitzt) ; la locution française « ce n’est pas le couteau le plus affûté / aiguisé du tiroir » est un calque de l’anglais américain (not to be the sharpest knife in the drawer). (3)
La structure « ce n’est pas le / la plus … de… » se décline aujourd’hui en une multitude de variantes se référant à différents domaines :
– animal : « ce n’est pas la truite (Forelle) la plus oxygénée du ruisseau / ou de la rivière » ; « t’es pas le pingouin qui glisse le plus loin (sur la banquise) » ;
– végétal : « ce n’est pas la tomate la plus mûre du potager » ;
– alimentation : « t’es pas le gâteau le mieux démoulé » ; l’allemand utilise la formule « die Weisheit nicht gerade mit Löffeln gefressen haben » (il n’a pas vraiment mangé la sagesse à la cuillère = enfant, il n’a pas été nourri à la sagesse).
A côté des formules internationales se référant à l’invention de la roue, de la poudre ou de l’eau chaude, on trouve de savoureuses variantes « couleur locale » (mit Lokalkolorit) !
– ne pas avoir inventé le fil à couper le beurre (Butter-Draht-Schneider) semble être une spécialité française ;
– ne pas avoir découvert l’Amérique se retrouve, naturellement, en espagnol, en italien (non aver coperto l’America⁻- rappelons que Christophe Colomb était d’origine génoise) ou même en serbe (nisi otkrio Ameriku) ;
– « il ne mettra jamais le feu à la Tamise » est, bien entendu, d’origine anglaise (he’ll never set the Thames in fire) ;
– « il n’a pas mis les pattes aux mouches » ou « il n’a pas inventé les boutons à quatre trous » sont d’origine québécoise ;
– « il n’a pas toutes les frites dans le même cornet / sachet » vient – vous l’aurez deviné – de Belgique ;
– quant aux Danois, ils ont… inventé l’expression « il n’a pas inventé l‘assiette creuse » (han har ikke opfundet den dybe tallerken).
Ma locution préférée est une combinaison (assez absurde, avouons-le) de différentes variantes :
« Il n’a pas inventé le fil à couper l’eau chaude à tous les étages ».
Pour être au courant
1- des inventions considérées aujourd’hui comme banales
– la roue : not having invented the wheel (anglais) ; não ter inventado a roda (portugais) ; lo himtsi et ha galgal (en hébreu) ;
– l’eau chaude : non avere inventato l’acqua calda (italien) ; nisi otkrio toplu vodu (croate) ;
– la poudre : no haber inventado la pólvora (espagnol) ; het buskruit niet uitgevonden hebben (néerlandais) ; das Schießpulver nicht erfunden haben (allemand).
2- On retrouve ce lien entre lumière et intelligence dans les expressions suivantes, utilisées aux Etats-Unis :
– not to be the brightest bulb in the chandelier : ne pas être l’ampoule la plus brillante du lustre ;
– not to be the brightest star in the sky : ne pas être l’étoile la plus brillante du ciel.
3- « ce n’est pas le couteau le plus affûté » rappelle l’expression, un peu démodée, « il n’est pas très fute-fute » (er ist nicht sehr helle) – dans le sens de « futé ». D’ailleurs « affûté » (scharf) et ‘futé‘ ont la même origine étymologique, à savoir le « fût » (morceau de bois, tronc d’arbre).
Celui qui n’est pas « futé » n’a pas l’esprit « affûté ». « Se fuster » signifiait, en ancien français, « aller dans la futaie (Hochwald) » (pour échapper aux chasseurs par ex.) : son équivalent moderne est familier est « se tailler » (aller dans les taillis (Niederwald, Dickicht).